La lettre juridique n°600 du 5 fĂ©vrier 2015 Avocats/Champ de compĂ©tence CrĂ©er un lien vers ce contenu [Jurisprudence] Exercice illĂ©gal de la profession d'avocat condition d'habitude non requise. Lire en ligne Copier par GaĂ«lle Deharo, Professeur, Laureate International Universtities ESCE, Centre de recherche sur la justice et le procĂšs, UniversitĂ© Paris 1 le 17 Mars 2015 RadiĂ© de l'Ordre des avocats du barreau de Paris, le prĂ©venu, qui n'avait pas obtenu de rĂ©inscription, Ă©tait poursuivi pour avoir illĂ©galement exercĂ© la profession d'avocat. Par un arrĂȘt infirmatif, la cour d'appel a dĂ©clarĂ© le prĂ©venu coupable et l'a condamnĂ© Ă une peine de six mois d'emprisonnement. Un pourvoi fut formĂ© contre cette dĂ©cision. Le demandeur Ă la cassation estimait qu'il Ă©tait poursuivi pour un fait unique et l'infraction n'Ă©tait donc pas caractĂ©risĂ©e, faute de dĂ©montrer le caractĂšre habituel de l'exercice illĂ©gal de la profession. La Cour de cassation, dans un arrĂȘt rendu le 14 janvier 2015, rejette le pourvoi "attendu que pour dire Ă©tabli le dĂ©lit d'exercice illĂ©gal de la profession d'avocat, l'arrĂȘt retient que le prĂ©venu, aprĂšs avoir Ă©tĂ© suspendu puis radiĂ© de l'ordre des avocats, a assistĂ© Mme I., le 21 fĂ©vrier 2007 devant le Conseil des prud'hommes dans l'instance opposant celle-ci Ă l'un des salariĂ©s de la sociĂ©tĂ© qu'elle dirigeait ; attendu qu'en se prononçant ainsi, et dĂšs lors que, d'une part, le prĂ©venu ne prĂ©sentait aucune des qualitĂ©s requises par l'article R. 1453-2 du Code du travail N° Lexbase L0387ITI pour assister une partie devant le conseil de prud'hommes, d'autre part l'habitude n'est pas un Ă©lĂ©ment constitutif du dĂ©lit prĂ©vu et rĂ©primĂ© par les articles 4 et 72 de la loi du 31 dĂ©cembre 1971 N° Lexbase L6343AGZ, la cour d'appel a justifiĂ© sa dĂ©cision". Bien qu'elle ne soit pas nouvelle 1, la formulation de cette dĂ©cision doit retenir l'attention. Par un premier attendu, la Cour de cassation rapporte la solution des juges du fond exposant deux conditions nĂ©cessaires pour Ă©tablir le dĂ©lit d'exercice illĂ©gal de la profession d'avocat I le prĂ©venu est dĂ©pourvu du titre d'avocat et il exerce des activitĂ©s rĂ©servĂ©es Ă cette profession. Le deuxiĂšme attendu traduit le contrĂŽle rĂ©alisĂ© par la Cour de cassation sur la qualification retenue par les juges. D'une part, elle vĂ©rifie que le prĂ©venu ne tirait pas d'une disposition spĂ©ciale une lĂ©gitimitĂ© pour exercer l'activitĂ© litigieuse. D'autre part, la Cour rappelle que la condition d'habitude n'est pas un Ă©lĂ©ment constitutif du dĂ©lit II. I - Les Ă©lĂ©ments constitutifs de l'infraction Selon le premier attendu de la dĂ©cision rapportĂ©e, le dĂ©lit est Ă©tabli lorsque les actes relevant du ministĂšre de l'avocat A sont accomplis par une personne dĂ©pourvue du titre B. A - Les actes relevant du ministĂšre de l'avocat L'exercice illĂ©gal de la profession d'avocat est prĂ©vu et rĂ©primĂ© par les articles 4 et 72 de la loi n° 71-1130 du 31 dĂ©cembre 1971. Au terme de la premiĂšre disposition, "nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou reprĂ©senter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous rĂ©serve des dispositions rĂ©gissant les avocats au Conseil d'Etat et Ă la Cour de cassation". L'alinĂ©a deuxiĂšme prĂ©cise que "ces dispositions ne font pas obstacle Ă l'application des dispositions lĂ©gislatives ou rĂ©glementaires spĂ©ciales en vigueur Ă la date de publication de la prĂ©sente loi". Cette disposition est complĂ©tĂ©e par l'article 72 de la mĂȘme loi aux termes de laquelle "sera puni des peines prĂ©vues Ă l'article 433-17 du Code pĂ©nal N° Lexbase L9633IEI quiconque aura, n'Ă©tant par rĂ©guliĂšrement inscrit au barreau, exercĂ© une ou plusieurs des activitĂ©s rĂ©servĂ©es au ministĂšre des avocats dans les conditions prĂ©vues Ă l'article 4, sous rĂ©serve des conventions internationales". A l'opposĂ©, l'exercice d'activitĂ© ne relevant de la sphĂšre protĂ©gĂ©e des avocats ne permet pas de caractĂ©riser l'infraction 2. La formulation de l'article 4 interdit l'accomplissement, mĂȘme unique, des actes visĂ©s 3 le dĂ©lit est donc caractĂ©risĂ© dĂšs le premier acte. Les termes de l'article 72 ne formulent pas de liste aussi prĂ©cise mais sanctionnent l'exercice d'une ou plusieurs activitĂ©s rĂ©servĂ©es 4. Il existe donc entre les deux textes une Ă©volution sĂ©mantique de l'"acte", isolĂ© et ponctuel, vers l'"activitĂ©", plus diffuse et continue. B - Le dĂ©faut de la qualitĂ© d'avocat A dĂ©faut de titre d'avocat, l'exercice des "actes" et "activitĂ©s" visĂ©s par les articles 4 et 72 de la loi du 31 dĂ©cembre 1971 caractĂ©rise l'infraction d'exercice illĂ©gal de la profession d'avocat. En consĂ©quence, il faut, mais il suffit, que le prĂ©venu ait Ă©tĂ© dĂ©pourvu de la qualitĂ© d'avocat au moment oĂč il a accompli les actes litigieux 5, fut-ce par une radiation temporaire. Tel Ă©tait bien le cas en l'espĂšce l'avocat avait Ă©tĂ© radiĂ© du barreau de Paris sans obtenir une nouvelle inscription auprĂšs d'un autre barreau. C'est donc dĂ©pourvu de la qualitĂ© d'avocat qu'il s'Ă©tait prĂ©sentĂ© devant le conseil de prud'hommes aux cĂŽtĂ©s de l'une des parties. Pourtant, il n'entendait visiblement pas rester simple spectateur il ressortait clairement des Ă©lĂ©ments de la procĂ©dure 6 qu'il avait usĂ© de la qualitĂ© d'avocat 7 et entendait agir comme tel. Relevant que le prĂ©venu avait reprĂ©sentĂ© sa cliente et utilisĂ© le titre d"avocat" les juges du fond avaient dĂ©clarĂ© le prĂ©venu coupable d'avoir "sans ĂȘtre rĂ©guliĂšrement inscrit au barreau, assistĂ© des parties, postulĂ© ou plaidĂ© devant le Conseil de prud'hommes". Cette solution Ă©tait critiquĂ©e par le pourvoi qui arguait que le dĂ©lit d'exercice illĂ©gal de la profession d'avocat suppose qu'une personne qui n'est pas rĂ©guliĂšrement inscrite au barreau "exerce habituellement une activitĂ© rĂ©servĂ©e au ministĂšre des avocats". Cette dĂ©monstration est rejetĂ©e par la Cour de cassation. II - Le rejet de la condition d'habitude par la Cour de cassation Alors que la cour d'appel avait caractĂ©risĂ© le dĂ©lit en invoquant les actes de l'article 4 pour caractĂ©riser l'infraction, le pourvoi s'appuyait, quant Ă lui, sur les termes de l'article 72 auxquels il ajoutait la condition d'habitude pour rĂ©futer la qualification du dĂ©lit. Selon une jurisprudence ancienne, la condition d'habitude n'est pas un Ă©lĂ©ment constitutif de l'infraction 8. La rĂšgle est reprise en l'espĂšce rapportĂ©e, mais elle n'est formulĂ©e qu'aprĂšs que la cour ait constatĂ© que le prĂ©venu ne prĂ©sentait aucune des qualitĂ©s requises par l'article R. 1453-2 du Code du travail A. Il faut en effet tenir compte des spĂ©cificitĂ©s rĂ©dactionnelles des textes dĂ©rogatoires Ă l'article 4 de la loi du 31 dĂ©cembre 1971 si la condition d'habitude n'est pas un Ă©lĂ©ment constitutif de l'infraction, il semble nĂ©anmoins qu'elle permette d'Ă©tablir l'Ă©lĂ©ment matĂ©riel de l'infraction dans certaines circonstances B. A - Le rejet de la condition d'habitude dans les domaines rĂ©servĂ©s Selon l'article R. 1453-2 du Code du travail, "les personnes habilitĂ©es Ă assister ou Ă reprĂ©senter les parties sont 1° Les salariĂ©s ou les employeurs appartenant Ă une mĂȘme branche d'activitĂ© ; 2° Les dĂ©lĂ©guĂ©s permanents ou non permanents des organisations d'employeurs et de salariĂ©s ; 3° Le conjoint, le partenaire liĂ© par un pacte civil de solidaritĂ© ; 4° Les avocats ; L'employeur peut Ă©galement se faire assister ou reprĂ©senter par un membre de l'entreprise ou de l'Ă©tablissement". Le texte expose donc une liste limitative des personnes susceptibles d'intervenir pour assister ou reprĂ©senter la partie Ă l'audience. DiffĂ©rentes catĂ©gories "d'habilitation" apparaissent aux cĂŽtĂ©s des avocats qui ne sont citĂ©s qu'en quatriĂšme et derniĂšre position. Dans l'espĂšce rapportĂ©e, le prĂ©venu aurait pu intervenir sur le fondement de sa qualitĂ© d'avocat. Mais il en a Ă©tĂ© privĂ© par la radiation prononcĂ©e par l'ordre des avocats du barreau de Paris. Il ne prĂ©sentait aucune qualitĂ© pour fonder son intervention sur l'une des trois autres hypothĂšses. Il en rĂ©sulte que l'infraction est caractĂ©risĂ©e du seul fait que l'individu ait pĂ©nĂ©trĂ© le pĂ©rimĂštre rĂ©servĂ© aux avocats. Car c'est bien en cette qualitĂ© qu'il s'Ă©tait prĂ©sentĂ© et entendait intervenir, comme cela est relevĂ© par les juges du fond et rapportĂ© par la Cour de cassation. C'est la raison pour laquelle l'infraction est caractĂ©risĂ©e sans qu'il soit nĂ©cessaire d'Ă©tablir le caractĂšre "habituel" de l'exercice de la profession d'avocat. Le dĂ©lit est Ă©tabli par le premier acte d'assistance ou de reprĂ©sentation dĂšs lors que celui-ci relĂšve du domaine protĂ©gĂ© des avocats. B - Le rĂŽle de l'habitude dans la qualification du dĂ©lit en l'absence de monopole des avocats La solution de l'espĂšce rapportĂ©e aurait elle Ă©tĂ© diffĂ©rente si l'audience s'Ă©tait dĂ©roulĂ©e devant le tribunal de commerce ? L'article 853 du Code de procĂ©dure civile N° Lexbase L0828H4G dispose que "les parties se dĂ©fendent elles mĂȘmes. Elles ont la facultĂ© de se faire assister ou reprĂ©senter par toute personne de leur choix. Le reprĂ©sentant, s'il n'est avocat, doit justifier d'un pouvoir spĂ©cial". Il ne s'agit plus de personnes "habilitĂ©es", Ă la diffĂ©rence de l'article R. 1453-2 du Code du travail, et la personne dĂ©pourvue du titre d'avocat n'a pas Ă entrer dans une catĂ©gorie dĂ©finie par le texte. Suffit-il pour autant qu'elle dispose d'un pouvoir spĂ©cial pour Ă©chapper Ă la condamnation ? DĂ©pourvue de la qualitĂ© d'avocat, l'individu ne commet pas l'infraction d'exercice illĂ©gal de la profession d'avocat l'article 853, en effet, constitue une hypothĂšse dĂ©rogatoire prĂ©vue par le deuxiĂšme alinĂ©a de l'article 4 de la loi du 31 dĂ©cembre 1971. La commission d'un fait unique ne suffit donc pas Ă caractĂ©riser le dĂ©lit. Qu'en est-il cependant lorsque les interventions sont rĂ©alisĂ©es Ă titre habituel ? La jurisprudence parait admettre que la facultĂ© pour une partie de se faire assister ou reprĂ©senter devant le tribunal de commerce par une personne de son choix ne peut avoir pour effet de dĂ©roger au principe suivant lequel seuls les avocats peuvent assurer ces fonctions Ă titre habituel. En consĂ©quence, dans l'hypothĂšse oĂč la possibilitĂ© d'assister ou reprĂ©senter une partie est largement ouverte, la condition d'habitude serait restaurĂ©e et permettrait de caractĂ©riser l'infraction 9. A cet Ă©gard, la Cour de cassation a prĂ©cisĂ© que le caractĂšre habituel de l'exercice de l'activitĂ© reprochĂ©e au prĂ©venu n'est pas Ă©tabli par la succession, dans une seule et mĂȘme procĂ©dure, de deux interventions lorsque la deuxiĂšme est la suite logique de la premiĂšre 10. 1 Cass. crim., 5 fĂ©vrier 2013, n° FS-P+B N° Lexbase A6410I7K. 2 TGI Paris, 30Ăšme ch., 13 mars 2014, n° 13248000496 N° Lexbase A9855MHH, JCP Ă©d. G., 2014, 578, note BlĂ©ry et Teboul. 3 Cass. crim., 21 fĂ©vrier 2006, n° FS-D N° Lexbase A7743NAZ. 4 Cass. crim., 23 janvier 2001, n° N° Lexbase A9294CYU ; Cass. crim., 18 janvier 2000, n° N° Lexbase A2311CWI. 5 V. par. ex. Cass. crim., 9 mars 1999, n° N° Lexbase A2006CQD ; Cass. crim., 13 mars 1996, n° N° Lexbase A4545CS7 ; Cass. crim., 9 juin 1993, n° N° Lexbase A3162CQ8 ; Cass. crim., 18 dĂ©cembre 1978, n° N° Lexbase A0744CIE. 6 V. dĂ©jĂ Cass. crim., 5 fĂ©vrier 2013, prĂ©c., sur la mention de l'assistance en qualitĂ© d'avocat dans une ordonnance de rĂ©fĂ©rĂ©. 7 V. Ă©galement Cass. crim., 18 dĂ©cembre 1996, n° N° Lexbase A7278CWH. 8 Cass. crim., 18 dĂ©cembre 1978, n° N° Lexbase A0744CIE. 9 Cass. crim., 1er fĂ©vrier 2000, n° N° Lexbase A6334CEC. 10 Cass. crim., 21 octobre 2008, n° F-PF N° Lexbase A1728EBM. © Reproduction interdite, sauf autorisation Ă©crite prĂ©alable newsid445811
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